Avis Lecture : Sa Majesté des Mouches (William Golding)

Informations :

  • Édition : multiples (Folio, Gallimard, École des Loisirs,…)
  • Parution : 1954 (1956 France)
  • Nombre de pages : entre 240 et 320 pages selon les éditions

Résumé :

L’évidence est là : il n’y a pas d’adultes sur l’île, seulement des enfants. L’avion qui transportait les collégiens britanniques a pris feu avant de sombrer dans le Pacifique. Ralph rassemble les rescapés et s’efforce d’organiser la survie du groupe. Mais, s’ils sont nombreux à applaudir ses décisions, presque tous préfèrent se baigner dans le lagon ou jouer à l’ombre des palmiers, au lieu d’entretenir le feu qui alerterait les bateaux croisant au large. La nuit, cependant, leur sommeil se peuple de créatures terrifiantes. Et s’il y avait vraiment un monstre tapi dans la jungle? Sous l’impulsion de Jack, violent et jaloux de Ralph, la chasse au monstre est déclarée. Mais les partisans de Jack et ceux de Ralph ne vont pas tarder à s’affronter cruellement…

À travers les aventures d’un groupe d’enfants livrés à eux-mêmes, William Golding nous raconte la terrifiante évolution de la civilisation vers la sauvagerie.

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William Golding (prix Nobel en 1983)

« Cette île est à nous. Elle est vraiment sympa. On s’amusera tant que les grandes personnes ne seront pas venues nous chercher. »

Mes impressions, comment écorner l’idée de l’enfance innocente

Les personnages :

En tout premier lieu, nous avons le personnage principal, Ralph. Un enfant normal, l’un des plus âgés et le plus réfléchit. De fait, il est élu chef des enfants et il est celui par lequel on s’identifie peut-être le plus de par ses préoccupations et ses réflexions.

Ensuite, nous avons Piggy (ou Porcinet dans certaines versions). Il est maladroit et gras et devient rapidement le souffre-douleur des autres enfants. Il est néanmoins important pour la communauté de par son intelligence et ses lunettes qui permettent d’allumer le feu. L’archétype du petit gros intello méprisé par les plus forts.

Jack, chef des chasseurs et principal concurrent de Ralph dans la lutte de pouvoir. Il représente la force brute. Il montre également le chemin le plus facile à suivre sur l’île. S’amuser et chasser, tant pis si le feu s’éteint et si personne ne vient les sauver.

D’autres enfants se détachent du groupe comme Sam, le courageux et sage, ou Roger, second de Jack et dont l’évolution vers la cruauté sera assez surprenante, ou encore les jumeaux Sam et Eric passant parfois du côté de Jack et parfois du côté de Ralph.

Les enfants de 6 ans sont beaucoup moins représentés mais on notera le petit pleurnicheur Percival qui aura mentionné en premier l’apparition du « monstre » pendant la nuit.

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Piggy et Ralph, dans l’adaptation cinématographique de 1963

Le récit :
Un livre qui me tentait depuis longtemps. Je n’arrêtais pas d’entendre qu’il était cruel, qu’il mettait en avant les instincts primaires des enfants, que l’âme humaine était mauvaise de nature,… Bref, c’était tentant sur le papier. Des enfants qui régressent à l’état primitif et qui essaient de s’écorcher les uns les autres, s’en est presque beau à imaginer. C’est en tout cas l’idée qu’a voulu développer l’auteur en faisant l’expérience de laisser des enfants sans adultes sur une île et y attiser les côtés sombres des recoins de l’âme humaine, une vision obscure propre à son époque, lui qui a connu la Seconde Guerre mondiale.

On découvre deux enfants (Ralph et Piggy) qui se rencontrent sur une île suite à un accident d’avion en plein Pacifique. Très vite, ils trouveront une plage ainsi qu’une conque dans laquelle Ralph soufflera pour tenter de rameuter d’éventuels survivants. Ils rencontreront plusieurs jeunes enfants de 6 ans, quelques autres âgés d’une dizaine d’années et un groupe d’enfants de 12 ans menés par un roux nommé Jack. Ralph, de parce qu’il a tenu en premier la conque et parce qu’il a su rassembler tous les survivants du crash de l’avion, est élu chef du groupe. Il n’y a plus un seul adulte en vie et les enfants doivent se débrouiller. On remarquera la présence exclusive de garçon dans ce groupe.

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« Devant Simon, pendue à son bâton, Sa Majesté des Mouches ricanait »

Très vite, des tensions apparaissent entre les « raisonnables« , menés par Ralph, qui ont pour objectif de maintenir un feu pour alerter d’éventuels secours et de construire des abris, et les « chasseurs« , menés par Jack, qui n’auront d’autre obsession que de chasser pour manger de la viande. Entre un feu qui s’est éteint alors qu’ils auraient pu être sauvés, un « monstre » qui rode dans la forêt, la peur et les cauchemars des petits, un climat tendu va progressivement s’installer pour atteindre un point de non-retour. William Golding a voulu, par l’intermédiaire de cette histoire, nous montrer que, sans loi ni ordre, le chaos ne tardera pas à poindre le bout du museau. Livrés à lui-même, sans repère ni expérience de la vie, un enfant, à la base innocent, peut devenir en l’espace de quelques semaines un véritable petit sauvage. Comme un retour en arrière, l’enfant régresse vers l’état sauvage, l’apprivoisement de la nature, les rites païens et la barbarie. Ce qui n’était qu’un jeu s’est transformé en cruelle loi du plus fort et les plus faibles ou les plus raisonnables n’y ont pas leur place.

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Le récit est narré à la troisième personne et tourne autour de Ralph principalement, même si des passages proposent les visions de l’un ou l’autre enfant comme Simon par exemple. Le plus vieux ayant 12 ans, les dialogues sont donc ceux d’enfants de cet âge, perdus et livrés à eux-mêmes, avec des discours propre à ceux de leur âge, avec quelques réactions « d’adultes », mais surtout beaucoup de répétition pour essayer d’imposer un point de vue. C’est pas forcément facile ou clair à suivre. Puis le style d’écriture et la façon de penser des années 50 n’aident pas toujours à bien comprendre certains passages.

Difficile de décrire le livre sans le spoiler et, de toute manière, la quatrième de couverture en dit assez long sur le récit pour imaginer ce qui va se passer. Mais les différentes éditions proposent toutes des résumés différents et c’était pas facile d’en choisir un qui ne gâche pas l’entièreté de l’histoire. Ce livre est un Must Have de la littérature et est carrément conseillé par l’éducation Nationale en France, c’est tout dire… Le livre aura eu droit à pas moins de 2 adaptations cinématographiques (en 1963 et 1990) et aura inspiré bon nombres d’œuvres contemporaines comme « Battle Royal » de Koshun Takami ou « La Tour sombre » de Stephen King. Théâtre, cinéma, littérature, musique, tout y passe.

Je suis grand consommateur de livres du genre horrifique et je n’ai pas été dérangé comme je l’aurais pensé vu les commentaires qui découlent des différentes critiques car je m’attendais certainement à plus de violence ou de morts. Mais le fait que cela puisse vraiment se dérouler, car même s’il s’agit d’une fiction nous sommes bien dans le monde réel, est suffisamment dérangeant que pour se poser des questions sur la nature profonde de l’être humain. Des tests (l’expérience de Milgram et celle de Stanford ayant été reproduits dans des classes de jeunes) avec des enfants ont montré une prédisposition naturelle à la violence, la torture ou le sadisme (pas tous, heureusement). Le but premier de Golding était surtout d’écorner l’idée idyllique que ses contemporains se faisaient de l’éducation et de l’enfance élevée à l’anglaise, « parfaite en tout point ». 

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De gauche à droite, Ralph, Piggy et Jack, dans l’adaptation cinématographique de 1990.

C’est donc en quelques sorte une forme de critique sociale que nous offre Golding à travers un roman proposant une expérience psychologique sur fond d’histoire à la Robinson Cruzoé, mais en beaucoup plus effrayant, car il s’agit d’enfants, de l’avenir en somme, du combat entre la raison et la facilité, entre l’enfance innocente et le fait de grandir en perdant ses principes, entre les forts et les faibles. Il y a également toute une analyse sur l’accession au pouvoir, l’utilisation de rites et de symboles,…

En bref, un petit livre qui aura fait beaucoup de bruits à travers les décennies et qui continue, encore aujourd’hui, à alimenter les débats sur la noirceur des tréfonds de l’âme humaine et à influencer les créations artistiques contemporaines. Pour ma part, même si j’ai bien aimé ce huis-clos paradisiaque avec des moments forts et marquants, je m’attendais à plus encore, trompé par certaines critiques qui en rajoutaient des caisses tant ils avaient été marqués par l’histoire. De plus, le style et les pensées propres aux années 50 ne m’ont pas immergé autant que je l’aurais souhaité. Cependant, on ne peut nier le travail d’analyse psychologique sobre et terriblement efficace de l’auteur concernant la régression vers le chaos en l’absence de règles, l’évolution d’un pouvoir sur un autre et que la civilisation est une manière d’éviter de sombrer dans nos plus bas instincts. Petit à lire, mais costaud dans son concept !

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« Moi, j’ai peur de lui, dit Piggy, et c’est pour ça que je le connais. Quand on a peur de quelqu’un on le déteste, mais on ne peut pas s’empêcher de penser tout le temps à lui. On essaie de se persuader qu’il n’est pas si méchant après tout et puis, quand on le revoit…c’est comme l’asthme, on peut pas respirer. Et puis, tu sais quoi, Ralph, il te déteste aussi.
– Moi ? Pourquoi moi ?
– J’sais pas. Tu l’as eu pour l’histoire du feu. Et puis c’est toi le chef et pas lui. »

Ce que j’ai aimé

  • La notoriété du livre qui parle d’elle-même. Écrit dans les années 50, ce récit à la Robinson Cruzoé aura marqué sa génération ainsi que celles des décennies suivantes.
  • L’histoire en elle-même, aussi simple que sobre, nous plonge dans un huis-clos avec des enfants âgés entre 6 et 12 ans, sans adulte. Pouvoir « observer » leur évolution sur cette île nous rappelle parfois à nos sombres angoisses (un monstre dans la nuit, la peur des plus forts que  nous,…) et nous fait prendre conscience que même les enfants peuvent être sujets à la cruauté et qu’elle n’est pas l’apanage des adultes.
  • Toute l’analyse psychologique qui découle de ce petit livre est impressionnante. De l’utilisation de symboles pour sa rattacher à la civilisation, en passant par des rites (peintures, offrandes) ou du basculement d’un pouvoir dit raisonnable à celui considéré comme facile et sauvage, c’est fascinant et en même temps terrifiant et nous rappelle que nous ne sommes jamais que des descendants d’animaux et que nos instincts primaires, même profondément enfuis, ne sont jamais très loin.

Ce que j’aurai aimé, ce qui m’a dérangé

  • La notoriété est un plus, mais elle amène indéniablement des attentes fortes. Du coup, avais-je trop d’attentes ? C’est fort possible. Ma légère déception était aussi surprenante que la fin du livre. Même s’il est vrai que ce livre est un peu cruel, les quatrièmes de couvertures annonçaient pour la plupart une « guerre » qui n’en n’est pas une et les commentaires de personnes marquées par ce récit ont certainement fait naître en moi des attentes infondées. Il est possible que mes lectures horrifiques et épiques me rendent plus imperméable aux actes inhumains (dans la littérature je veux dire).
  • Le style années 50 et les pensées d’époque m’ont rendu parfois un peu confus. De plus, les dialogues entre enfants n’étaient pas forcément aisés à interpréter non plus et il y a de nombreuses redondances propres au discours des enfants de cet âge. L’auteur a très bien retranscrit cela, mais ce n’est pas forcément chouette à lire.

Conclusion

Un groupe d’enfants âgés de 6 à 12 ans se retrouvent coincés sur une île, sans adulte pour les aider, et devront s’organiser pour survivre jusqu’à l’arrivée des sauveteurs. Quelques têtes sortiront du lot comme Ralph, rapidement élu chef pour son raisonnement, Piggy l’obèse moqué de tous mais certainement le plus réfléchit de la bande, Jack l’opposant de Ralph dans la quête du pouvoir et Sam, le sage introverti. En quelques jours, les tensions augmentent, l’organisation se disloque et une lutte de pouvoir entre Ralph et Jack fait craindre le pire à la communauté. Mais qui a raison ? Celui qui prône le raisonnable en voulant à tout prix faire du feu pour qu’on les sauve, ou celui qui prône la chasse pour leur survie immédiate tout en s’amusant ? Ce Must have de la littérature n’est pas qu’un roman d’aventure à la Robinson Cruzoé, c’est surtout une critique sociétale et une analyse psychologique sobre mais très efficace. Elle prône que la civilisation nous empêche de sombrer dans le chaos et la sauvagerie. L’absence de règles nous conduit tout droit à la barbarie et la cruauté n’est pas l’apanage des adultes, même nos petites têtes blondes peuvent devenir ce que la nature a créé de plus primitif et peuvent transformer l’Eden en Enfer. Un livre à lire donc, qui aura inspiré toutes les couches de la création, que cela soit au cinéma, en littérature, au théâtre et même en musique. Pour ma part, une fin trop abrupte, une violence et une cruauté finalement présente assez tard dans le livre et un style années 50 qui a vieilli on refroidit un enthousiasme exacerbé par les critiques de cette œuvre. Mais l’on comprend aisément pourquoi ce livre a marqué toute une génération et son analyse psychologique est toujours d’actualité.

Note

7/10

Si vous avez apprécié cette critique (ou pas), n’hésitez pas à commenter. Si vous l’avez déjà lu ou si vous avez des questions spécifiques au récit, laissez une trace de votre passage 🙂

D’autres avis d’experts, c’est par ici –> Le Monde de Pandore, Mumu dans le Bocage, Justelire,…

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3 réflexions au sujet de « Avis Lecture : Sa Majesté des Mouches (William Golding) »

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