Résumé :
Quelque part dans la nordique forêt du Vyanthryr, les gabarres du capitaine Rana remontent le fleuve vers les sources sacrées où réside le Roi-diseur, l’oracle dont le savoir pourrait inverser le cours de la guerre civile. À bord, une poignée de guerriers prêts à tout pour sauver leur patrie. Mais qui, parmi eux, connaît vraiment le dessein du capitaine ? Même le Barde, son homme de confiance, n’a pas exploré tous les replis de son âme. Et lorsque les bateliers recueillent un moribond qui dérive au fil de l’eau, à des milles et des milles de toute civilisation, de nouvelles questions surgissent. Qui est Le Bâtard ? Que faisait-il dans la forêt ? Est-il un danger potentiel, ou au contraire le formidable allié qui pourrait sauver l’expédition de l’anéantissement pur et simple?
L’auteur, un look atypique et une ressemblance certaine avec son barde
Historien de formation, Stefan Platteau aime s’abreuver à la source des mythes. Quand il n’est pas en train de réciter l’Iliade ou le Kalevala à voix haute en compagnie de harpistes ou de vagabonder sur les routes d’Inde avec le Ramayana sous le bras, il partage son temps entre l’écriture, la musique et son emploi d’entrepreneur en économie sociale. Pédagogue, il est également auteur de plusieurs spectacles d’histoire vivante, un genre auquel il s’efforce de donner une vraie puissance d’évocation, des thèmes originaux et des personnages forts, en collaboration avec des professionnels du théâtre et des compagnies de reconstitution historique.
Voilà pour la description officielle. Pour ma part, j’ai rencontré l’artiste à Troll&Légendes 2017 à Mons Expo. Malgré deux dédicaces bienvenues sur Manesh et le Dévoreur, nous n’avons finalement que très peu échangé. J’étais étonné qu’une personne avec un tel pedigree, auteur de spectacle et entrepreneur dans le social ainsi que voyageur du Monde, ne soit pas plus volubile, ne pose pas plus de questions à son lecteur, ne joue pas de son expérience de scène pour attirer l’œil curieux du touriste de passage. Une mauvaise journée ? Une digestion délicate ? Ma tête ne lui revenait-elle pas ? Jamais je ne le saurai. Mais j’espère bien un jour revoir Monsieur Platteau pour une belle et vraie discussion entre belges dans des conditions, peut-être, plus favorables ! Ce n’est que partie remise.
Titre, couverture et quatrième de couverture, un coup de maître des éditeurs
Les Moutons électriques sont réputés pour leur soin apporté aux objets/livres comme dans leur choix très Select de manuscrits à paraître. Mon voyage n’a véritablement commencé qu’avec la prise en main de ce petit pavé (464 pages), où la couverture vous invite vers des contrées imaginaires d’un autre temps, d’un espace entre l’aventure et la spiritualité. Aussi bien le titre que la couverture sont des appels à la lecture, à l’évasion mentale pour une balade en gabarre. Le résumé de la quatrième de couverture est propre et propose un suspens avant même l’ouverture du livre, plusieurs questions s’entrechoquent déjà pour tenter de dénouer les files d’un mystère inconnu.
L’édition J’ai Lu propose également une couverture dans la même idée que celle des Moutons, mais en mettant de côté cette magie des signes entourant la tête de cheval. La brume et la forêt dense restent cependant présents et la couverture garde cet effet de mystère qui entoure le voyage proposé.
Mes impressions, une qualité à double tranchant
Bon, pour le coup, j’étais très mitigé à la fin du livre. Je suis quelqu’un qui aime les textes nerveux, où l’action prédomine et où les complots sont légions, où le sang coule et où la morale n’a pas toujours sa place à la fin de l’histoire. Dans Manesh, le sang coule,….parfois. Il y a de l’action,……mais très peu. Un roman à deux vitesses où l’on a d’un côté l’histoire de la course pour la survie du monde sur les bateaux du Capitaine Rana qui avancent au gré des courants d’eau et d’air, et de l’autre côté l’histoire du repêché Bâtard de Marmach, Manesh dont la vie ne tient qu’à un fil tout au long du voyage. Il ne faut cependant pas oublier que nous sommes dans un huit-clos et que l’on vit au jour le jour les impressions du moment. Une longue traversée en gabarre, on se doute qu’il ne se passe parfois rien. Alors quand c’est le cas, l’auteur comble avec de magnifiques descriptions de leur périple et de la nature environnante, mais pour moi : trop de description tue la description.
J’ai eu beaucoup de mal à atteindre la fin de ce bouquin. Pas parce que l’histoire ne m’inspirait pas ou parce que le voyage proposé par Stephan Platteau n’était pas intéressant, loin de là. Mais voilà, j’ai le goût de l’action et je m’attendais à un roman musclé et envoûtant aux vues des notes et des récompenses reçues (Imaginales – Roman francophone – 2015). Il est clairement envoûtant et la qualité d’écriture est d’une rare intensité. L’évasion est présente dans un univers mixant avec délice les cultures comme les régions de la Scandinavie et de l’Inde. Un mélange aussi improbable qu’incroyable entre deux civilisations totalement différentes et n’ayant jamais eut quelconque relation dans le monde réel. Cependant, pour mon côté action et baston, je repasserai. Je n’ai pas cessé d’osciller entre « livre magnifique » et « Bon, quand est-ce qu’il arrive le dénouement ? ».
Les personnages, Manesh joue avec notre patience et celle des voyageurs
Manesh, le Bâtard de Marmach, vous plombe une histoire en coursant son géniteur sur plusieurs chapitres, alors que le roman en lui-même, sans conter l’histoire du bonhomme, se suffisait amplement à lui-même. Même si l’on peut ressentir de l’empathie pour le garçon, il joue avec la patience du lecteur et celle du Barde et de ses compagnons tout au long du récit pour terminer sur le pourquoi de sa présence sur le bateau (sans qu’il ne le veuille au passage), ce qui ne plaira pas vraiment aux passagers de la dernière gabarre. Alors, clairement, certains passages sont indispensables à la bonne compréhension de certains événements, mais une bonne moitié de son récit peut passer à la trappe faute de réelle incidence pour la trame principale.
Pour les autres personnages, l’on retiendra principalement le Barde, conteur relatant sur papier les dires du Bâtard et de leur traversée du fleuve. J’avais du mal à ne pas imaginer l’auteur à la place du barde, c’était assez intriguant.
Pour les autres, pas grand chose à dire si ce n’est que le sort de certains nous empêche de mieux les connaître et de mieux apprécier leurs personnalités et de leur rôle dans l’initiative du capitaine Rana. Ce dernier mène l’expédition mais cache des motifs beaucoup plus troubles que même le Barde, sont confident, n’a pas connaissance.
Ce que j’ai aimé
Stefan Platteau, ce conteur. Sa plume est poétique, juste, transpire d’émotion. J’ai rarement lu un livre aussi bien écrit. Sa capacité à retranscrire les milieux où évoluent ses personnages est telle que l’on pourrait presque ressentir les vibrations du décor, les odeurs fleurs et la fraîcheur de l’eau. Je suis fier que la littérature belge puisse compter un tel conteur et créateur d’univers dans ses rangs. Je donnerais cher pour voir la Fantasy de Gemmell retranscrite par la plume de Stefan. Les passages où la tension est à son comble est si bien écrite que l’on ressent à son tour de l’angoisse.
La richesse du Monde créé par l’auteur, son background et son Histoire. Gros points forts à mon sens, avec ses anciennes divinités, ses coutumes, sa politique, ses mystères, sa magie, les rites… Bref. Une très gros travail derrière, nourrit par les expériences et les voyages de notre écrivain qui les utilise pour nous pondre quelque chose de complexe, d’irréel.
La fin est marquante car les choses s’accélèrent enfin et la tension monte vraiment d’un cran lorsque le danger est enfin révélé. Et le sort du Bâtard, sera-t-il scellé avant la dernière page ?
Ce que j’aurai aimé, ce qui m’a dérangé
Que le vent souffle plus fort sur les voiles des gabarres de nos héros pour avancer plus vite. Certains aimeront ce huis-clos intimiste où l’on prend son temps pour mettre en place l’intrigue, où les problèmes se multiplient lentement alors qu’il n’y a toujours pas de réponses pour les premières questions. Je comprends tout à fait, mais comme cité plus haut, je trouve personnellement que le tout manque de punch (sauf à quelques moments bien précis mais trop rares). Le récit du Bâtard est également trop long et j’attendais avec hâte d’arriver dans la narration principale pour avancer.
Stefan Platteau, ce conteur disais-je. Oui, mais…Beaucoup de mots complexes et orientés. J’aurai souhaité des petites notes en bas de page ou un lexique sur des mots bien précis proche de la culture indienne ou pour expliquer certains rites et leurs origines ou la division de la population et la signification de leur rang ou que sais-je encore. Le profane peut ne pas se sentir forcément concerné si on ne lui explique pas.
Conclusion
Un récit magnifiquement narré, un suspens intéressant et des moments de pression très prenants. Cela aurait pu devenir un chef d’oeuvre si l’action avait été plus présente, avec plus de rythme. Les rares moments de combat décrits par l’auteur sont d’une précision que l’on pourrait lui en vouloir de ne pas en avoir fait plus dans ce goût-là. Après, il faut comprendre que l’on est dans un huit-clos et que l’on suit au gré du vent et de l’eau l’avancée d’un petit groupe et que l’on apprend au compte goutte les péripéties de l’histoire personnelle de Manesh. Certains apprécient (et apprécieront encore) ce décor et cette lenteur, et la plume de l’auteur vaut clairement que l’on s’y intéresse. Le voyage vers l’imaginaire est garanti. Mais si vous souhaitez un roman nerveux et bourré d’action, vous risquez de rester sur votre faim. Peut-être que les deux autres tomes changeront la donne et proposeront quelque chose de plus aventureux encore.
Note
6,5/10
Si vous avez apprécié cette critique (ou pas), n’hésitez pas à commenter. Si vous l’avez déjà lu ou si vous avez des questions spécifiques au récit, laissez une trace de votre passage 🙂
D’autres avis d’experts, c’est par ici –> Littévasion, Uranie,…
J’ai ce tome 1 dans ma PAL depuis mon anniversaire, cadeau d’une amie. Mais j’hésite à me plonger dedans, alors qu’il m’intrigue par sa couverture superbe et son résumé accrocheur. Comme toi, j’aime l’action, le dynamisme, les récits punchy, et il n’y a que dans certaines phases de ma « vie de lectrice » que j’ai envie de lire quelque chose de plus intimiste, qui ressemble à Manesh, en somme. Vu la brique que c’est, j’avais peur de m’ennuyer et de ne pas accrocher et de garder un mauvais a priori sur cet auteur qu’on ne cesse de qualifier de talentueux (en plus d’être belge !). Du coup ton article confirme mes craintes et je vais attendre d’être dans un autre état d’esprit avant de l’ouvrir ^_^
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Je te rejoins en pensant qu’il faut le lire dans une période où tu te sens plus calme, apaisée. Et prévois du temps pour le lire car il est long, rythme Piano et un vocabulaire assez (voir parfois très) soutenu. Tout cela n’aide pas à l’avancée rapide de la lecture. Perso, j’ai su lire 3 autres livres (plus petits et plus nerveux) pendant que je lisais ce seul tome). Mais comme je l’ai précisé, la plume de Stefan mérite vraiment qu’on prenne le temps de s’y attarder. Mais il est clair que tu resteras sur ta faim de longs chapitres si tu aimes l’action. Après on a tous une définition bien personnelle du dynamisme lol. Mais peut-être que les deux autres tomes sont plus speedy que le premier ça je ne sais pas. Je pense que tu feras peut-être comme moi, des pauses à certains moments pour t’attaquer à du plus punchy pour ensuite continuer ta lecture de celui-ci. Hâte d’avoir ton impression en tout cas.
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Merci pour ta critique, je découvre cet auteur que je ne connais pas. La couverture est en effet très soignée, ça donne envie !
Vu que tu aimes les récits rythmés je ne peux que te conseiller Luna de Ian McDonald (dans un tout autre genre néanmoins)
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Salut Alterran, oui la qualité de couverture est très attirante, que cela soit aux éditions Les Moutons Électriques ou aux éditions J’ai Lu. Y a vraiment ce côté intriguant, mystère qui en ressort.
Merci pour l’info, il est vrai que j’ai vu récemment plusieurs blogs qui l’avaient chroniqués et les critiques sont généralement très bonnes. Ton conseil me confirme qu’il faut que je m’y intéresse de plus près dans un avenir proche.
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Oh! Mais c’est exactement le genre d’univers qui me bottent!
Superbe critique! Je prends!
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Ah c’est sûr que si c’est dans ce type d’univers que tu te sens bien, je pense que tu devrais passer un fabuleux moment de lecture. Un beau voyage t’attends. J’attends de voir ta chronique 🙂
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C’est la première chronique que je lis sur ton blog. Wouah! C’est sympa, tu écris bien et tu cernes parfaitement le roman. Un blog à suivre désormais!
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Ça fait super plaisir, merci beaucoup, c’est très motivant des commentaires ainsi 😀
Ton blog regorge de chroniques qui m’intéressent énormément et je n’ai pas encore pris le temps de lire mais je compte bien me rattraper maintenant que mon blog est lancé ^^
Encore merci 🙂
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J’ai beaucoup aimé ce premier tome mais je comprends tout à fait les arguments que tu mentionnes dans ce qui t’a gêné. La suite est à mon sens plus dynamique, tu devrais apprécier davantage. Belle critique en tout cas 🙂
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Merci Boudicca,
Oui l’auteur m’avait mentionné que le T2 était plus soutenu (difficile de faire moins à mon sens mais bon). Je préfère d’abord lire Dévoreur avant de tenter un nouvel opus.
Merci en tout cas ^^
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Ta chronique est très intéressante!
J’ai adoré ce roman mais je comprends ton point de vue.
La lenteur ne m’a pas du tout dérangée, je me suis sentie bercée par l’histoire du Batârd avant d’être réveillée avec de grand coup de pieds aux fesses dans le dernier tiers du roman^^
Nous nous accordons par contre sur la plume assez exceptionnelle!
Le tome 2 a en effet plus d’action avec un rythme totalement différent. J’espère qu’il te plaira plus que le premier 🙂
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Oui, je comprends tout à fait que toi et d’autres ont apprécié ce côté intimiste et relativement lent. La plume de l’auteur aide beaucoup à apprécier ces moments-là tant les descriptions sont belles.
Oui, j’ai plusieurs retours allant dans le même sens, même si certains sont plus nuancés par le parcours de la femme Shakti.
Je compte bien me le procurer mais d’abord je dois aborder son mini-roman Dévoreur.
Merci pour ton retour 🙂
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Oh j’ai adoré Dévoreur (aussi), juste ce qu’il faut d’horreur et en plus le livre est juste canon!
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